Interview de Mirwais dans Libération
A l’occasion de la sortie de son nouveau single My Generation (accompagné d’un court métrage) pour la 3éme phase du Record Store Day le 24 octobre prochain et de son nouvel album The Retrofuture qui est prévu pour 2021, le quotidien Libération a publié dans son numéro du 17 octobre une longue interview de Mirwais dans laquelle plusieurs questions concernent évidemment ses collaborations avec Madonna:
Le morceau Disco Science (1998) vous a-t-il permis de trouver votre place au sein de la French Touch ?
Pas du tout ! J’avais 38 ans, j’étais un vilain canard. Les Daft Punk et autres étaient dans l’hédonisme club. Moi, je samplais le rock des Breeders et je ralentissais le tempo avec un son lourd. Et puis, dans le fond, la French Touch, c’est un mouvement de droite avec une mentalité de winner. Des mecs, blancs, bourgeois, qui ont flashé sur le funk. Mais j’ai quand même eu un hit avec Naïve Song, tiré de mon album Production. Il y a de l’Auto-Tune tout du long. Madonna voulait me le prendre, c’est pour ça que je lui ai composé Nobody’s Perfect. C’était la première fois qu’une grosse star utilisait l’Auto-Tune durant toute une chanson.
Comment en êtes-vous arrivé à travailler avec Madonna ?
Je cherchais une distribution américaine pour Disco Science et mon ami le photographe Stéphane Sednaoui a passé le morceau au manager de Madonna qui le lui a fait écouter. Elle a adoré et elle lui a dit : «C’est ça que je veux pour mon prochain album.» On a fait un test pour voir si cela pouvait fonctionner entre nous car elle essaie beaucoup de producteurs avant de se décider. Air, par exemple, ça ne l’a pas fait avec eux.
Comment définiriez-vous vos liens ?
Entre nous, c’est une collaboration à 50-50. Nous partageons le même extrémisme de la musique. Elle pourrait mourir pour un son. Elle est très impatiente, il faut que ça aille vite en studio, ce qui peut avoir l’effet de paralyser ses producteurs. Jusqu’au bout, elle te prend la tête. Il faut savoir la driver. Je me souviens, pendant la session d’American Life, le travail s’éternisait sur un titre, et elle m’a demandé : «Mais pourquoi c’est si long d’être cool ?» Je lui ai répondu : «Parce que c’est très rapide d’être uncool !» Elle s’est marrée. Il y a beaucoup d’humour entre nous. Je me souviens d’un échange avec elle sur WhatsApp où j’ai dû évoquer Spinoza et Freud pour avoir le dernier mot ! Pourtant, on n’est pas amis dans la vie, on s’appelle rarement. Comme elle me voit comme un fou, je me permets de dire que je la considère comme une sœur un peu dingue. Je ne pourrais pas vivre dans son entourage, c’est une diva, mais je la soutiens à 100 % parce qu’elle est unique. Je suis parti pendant l’enregistrement de Confessions on a Dancefloor parce qu’elle me cassait les pieds. Avec son dernier disque, Madame X, je trouve qu’elle reprend la main. On ne s’était pas revus depuis douze ans, elle habite au Portugal, elle adore Cesaria Evora, et elle m’a demandé si je n’avais pas envie d’essayer de composer quelque chose dans ce goût-là. On a fait des tests et on s’est embarqués dans cet album, qu’on a ensuite ouvert à des morceaux club.
On imagine que vous avez dû refuser beaucoup de propositions après Madonna.
Oui. Il aurait fallu tomber dans le système du ghostwriting, où tu composes juste une partie d’une chanson noyée au milieu de 22 autres producteurs. J’ai voué ma vie à la musique, je fais partie d’une génération où on écrit un morceau à deux ou trois maximum. Quand je travaille avec Madonna, la plupart des tracks, c’est juste nous deux. Et puis, quand tu travailles avec la Madonna de 2000, avoir une telle liberté avec la plus grande star de l’époque, pourquoi aller faire Britney Spears entourée de douze managers qui te prennent la tête ? De toute manière, j’ai connu trente-neuf ans de galère. En 1992, je vivais avec 5 francs par jour et cela a duré dix ans. Donc à partir du moment où je gagne suffisamment d’argent pour m’extraire des problèmes matériels, cela me suffit. Je ne fais pas partie de ces gens qui veulent toujours plus de gloire et d’argent.