Interview de Madonna dans Vogue Italie
Vogue Italie a commencé à mettre en ligne sur son site l’interview exclusive que Madonna leur a accordée et que l’on retrouvera dans le magazine qui sera disponible dans les kiosques à partir du 3 août.
Voici la traduction de cette interview exclusive que Madonna a accordé au journaliste de mode Xerxes Cook:
Xerxes Cook: Alors, qu’est-ce qui vous a poussé à quitter New York?
Madonna: le football. Mon fils David, qui va avoir 13 ans le 24 septembre, depuis des années, a toujours voulu jouer au football au niveau professionnel.Je voulais à tout prix le faire entrer dans les meilleurs centres de formations avec les meilleurs entraineurs, mais le niveau de football aux États-Unis est beaucoup plus bas que dans le reste du monde.J’ai vu sa frustration, et j’ai aussi pensé que c’était le bon moment.J’ai senti que nous avions besoin de changement, et je voulais quitter l’Amérique quelques temps – comme vous le savez, ce ne sont pas les meilleures heures de l’Amérique – non pas que quitter l’Amérique fasse la différence ou change quoique ce soit.J’ai vécu à d’autres endroits;J’ai habité à Londres pendant 10 ans.J’aime me mettre dans des situations peu confortables et prendre des risques.
M: En fait c’était entre trois villes différentes où il y avait des centres de formations.Et je me suis dit, voyons si je peux vivre ailleurs pendant un an et mettre mes plus jeunes enfants dans un environnement différent, je pense que c’est aussi important de les exposer à différentes cultures et de vivre dans des endroits différents.Le choix c’était entre Turin, Barcelone et le Benfica à Lisbonne.Je suis allée dans ces villes et j’ai essayé de m’imaginer y vivre.Bien sur, Barcelone est une ville super fun, et j’aime aussi Turin, mais Turin n’est pas une ville pour les enfants.C’est une ville pour les intellectuels, ils ont des musées incroyables et de magnifiques maisons, mais je me suis dit que ça ne serait pas amusant pour eux.J’ai du prendre tout le monde en compte, pas juste de savoir si ça serait un bon centre de formation pour David.Je suis alors allée à Lisbonne et ça a semblé être le meilleur choix.La première chose que j’ai faite quand je suis allé là-bas c’est de me rendre à Sintra, une forêt magique dans laquelle il y a beaucoup d’énergie mystique.
XC: Quels sont les atouts de Lisbonne ?
M: Je crois que le Portugal est le plus vieux pays d’Europe.Il est enraciné dans l’histoire, et l’empire portugais est parti à la conquête du monde.L’architecture est extraordinaire.C’est aussi là où est né l’esclavage et il y a alors des influences musicales qui viennent de l’Angola et du Cap Vert, et aussi d’Espagne.Et puis par dessus tout, une des choses que je préfère faire au monde c’est de monter à cheval.
A suivre…
XC: Vous vivez dans la ville même ou dans la campagne environnante ?
M: Je vis à Lisbonne, à Lapa, mais quand je vais faire du cheval je vais à Comporta, chez des amis, je vais à Alcácer. Il y a beaucoup d’endroits pour faire de l’équitation à l’extérieur de Lisbonne.Quand mon fils n’a pas de match le dimanche, cela devient alors une journée d’aventure, et on choisit un endroit pour monter à cheval.
XC: Vous avez dit que vous aimiez vous remettre en question.En 1979, vous avez quitté le Michigan pour New York avec seulement 35 dollar en poche.Alors cette fois-ci, à quel sorte de challenge vous avez fait face en tant que mère célibataire qui déménage dans un pays étranger avec quatre enfants ?
M: C’est un challenge différent.Quand je suis partie pour New York, cela ne concernait que moi, et la prise en charge de l’enfant qui sommeillait en moi.Je suis toujours en mode de survie, mais désormais j’ai trois jeunes enfants auxquels je dois penser, leur éducation, s’occuper d’eux et m’assurer qu’ils sont heureux.Lisbonne est une ville ancienne et personne ne vit dans la précipitation.Vous avez beau avoir toutes les notions du romantisme que vous voulez, mais dés que vous êtes dans votre maison et que votre staff n’arrive pas et qu’il y a une fuite et que vous ne parlez pas la langue, tout d’un coup vous vous dites “mais putain qu’est-ce que j’ai fait ? (elle rit)
XC: Les gens ont un équilibre vie personnelle et vie professionnelle plus sain à Lisbonne comparé à New York ou Londres
M: Toute mère qui a un fils footballeur pourrait dire que cela nécessite de ne pas avoir de vie d’une certaine façon, parce que les choses changent d’une semaine à l’autre et les matches changent d’un week-end à l’autre, parfois c’est en ville, parfois non, et on ne sait que le jeudi soir s’ils ont lieu le samedi ou le dimanche, si c’est à midi ou plus tard.C’est impossible de faire des projets, et vous avez l’impression de n’être pas très juste avec vos autres enfants, ou très juste avec moi-même !Il y a une énergie assez décontractée à Lisbonne, mais aussi presque une aura de mélancolie, c’est comme ça que le fado y est né.Il y a un côté romantique à ça et assurément un côté créatif et artistique.Et cela a donné naissance à de la très belle musique et aussi à l’Art.Paula Rego est l’une de mes peintres préférée au monde, il y a beaucoup de chagrin et de douleur dans ses tableaux.C’est un paradoxe, et je vis ce paradoxe tous les jours.Certains jours je voulais que les choses soient juste réalisables;Je voulais que les choses aillent dans mon sens, pour que cela soit plus facile, pour que les gens arrivent à l’heure, j’avais beaucoup de frustrations, mais c’était toujours contrebalancé par le fait d’être capable d’apprécier la créativité.
XC: Comment Lisbonne vous a-t-elle inspirée en tant que musicienne ?
M: J’ai toujours dit que trois F régnaient sur le Portugal: le fado, le football et Fatima. C’est aussi un pays très catholique, ce qui me va très bien.Ça me rappelle Cuba dans le sens que les gens ont peu de choses, mais vous pouvez poussez la porte de n’importe quelle maison, vous pouvez aller au coin de la rue, vous entendrez toujours de la musique. A Alfama, vous entendrez partout des gens chanter et jouer du fado.Il y a ces sessions hebdomadaires que l’on appelle “les sessions du salon” qui ont lieu dans de magnifiques maisons qui ont plus de 500 ans, vous gravissez les marches en marbre tout au long des quelles sont alignées des bougies qui mènent au salon et il y a ces représentations très intimistes au cours desquelles des gens jouent, chantent, récitent de la poésie.C’est comme un salon;quelque chose qui existe plus que dans très peu d’endroits.Ailleurs des gens disent “Appelez mon manager, voilà combien je prends.”Je suis pratiquement sure qu’à Lisbonne les gens feraient ces spectacles sans être payés, ils le font juste pour l’amour de l’art, et pour moi c’est magnifique et inspirant.J’essaie de de faire connaître ça à mes amis qui me rendent visite, comme certains soirs où vous recevez un coup de fil vous disant que tels musiciens se produisent dans telle maison, venez à 11h, tout se passe tard à Lisbonne.Parfois il y a à manger, d’autres fois il y a juste du porto à boire.Normalement, toutes les portes sont ouvertes et selon l’endroit où vous vous trouvez, vous pouvez voir au delà du fleuve Tagus jusqu’à l’océan atlantique.Parfois il y a des danses flamenco, et très souvent il y a des gens qui passent les chansons de Cesária Évora [une célèbre chanteuse capverdienne], et qui l’ont connue. Vous entendez toujours beaucoup de fado, et beaucoup de kuduro d’Angola.Beaucoup de jazz aussi, du jazz old school, ce qui est plutôt cool.Je viens juste de rencontrer beaucoup de musiciens vraiment exceptionnels, et j’ai fini par travailler avec beaucoup d’entre eux sur mon nouvel album.Lisbonne a influencé ma musique et mon travail.Comment pourrait-il en être autrement? Je ne vois pas comment j’aurais pu traverser cette année sans être au courant de cet apport culturel.
XC: ça sonne comme une palette extrêmement riche avec laquelle peindre.
M: Oui, extrêmement! C’était un tellement bon antidote à ce qui se passe dans l’industrie musicale en ce moment où tout est tellement formaté, chaque chanson a 20 artistes en featuring, tous les titres se ressemblent.Il faut que ça change.
XC: La vie à New York était plus claustro-phobique comparée à Lisbonne ?
M: La plus part des gens me laissent tranquille à Lisbonne.De temps en temps quelqu’un me demande un autographe ou une photo, mais je me suis beaucoup déplacée et on m’a laissée tranquille.New York c’est une ville gigantesque.Quand vous allez à New York vous avez l’impression de vous être connecté au centre de l’univers, aussi artificiel que cela puisse paraître.
XC: Comme si vous vous shootiez à cette énergie.
M: New York c’est comme fumer du crack.Mais c’est aussi plein de vie, c’est la ville où j’ai grandi et où je me suis fait les dents, mais c’était aussi une époque différente, il y avait la scène artistique, la scène musicale.Tout était alors si différent à l’époque avant que les iPhones fassent leur apparition.
XC: Comment les enfants se sont t-ils adaptés à ce déménagement ?
M: Tous mes enfants sont uniques chacun à leur façon.Ce qui est extraordinaire c’est à quel point ils sont résilients et la façon dont ils embrassent les choses, en particulier la musique, la danse, le football et le sport – les choses qui les connectent à d’autres personnes facilitent l’adaptation.Ça s’applique à tous les êtres humains;vous devez trouver des points communs pour créer des liens avec les gens, et je crois que les gens font une dépression quand ils n’ont pas ça.Ils ont appris à parler portugais en faisant tout ça avec les gens, pas dans une salle de classe avec une méthode didactique comme écrire au tableau.Au lieu de ça, c’est ludique, c’est interactif.Surtout avec Stella et Estere qui ont passé quatre ans dans un orphelinat; Elles sont tellement heureuses de participer, de donner un coup de main, de faire partie de quelque chose que ça soit un petit groupe ou un plus grand, pour être les leaders.Elles sont extrêmement résilientes et pleine de vie et d’énergie.
XC: C’est merveilleux.
M: Oui, c’est merveilleux. Elles n’ont pas passé beaucoup de temps aux États-Unis. Elles sont venues d’Afrique à New York pendant une terrible tempête de neige, notre avion a été dérouté vers la Pennsylvanie et il a fallu six heures de voiture pour aller à New York, donc pour elles c’était comme si elles avaient atterri dans un monde magique.Tout était magique pour elles.Ils sont très ouverts, et à cause de mon travail, des voyages à travers le monde, les choses que je fais et les endroits dans lesquels je me trouve, mes enfants sont très ouverts d’esprit sur tout et j’en suis très fière.Beaucoup de gens me disent ‘Tu dois vraiment vouloir que ton fils soit un footballeur célèbre, que ta fille ainée [Lourdes] soit une danseuse, Rocco un peintre.’ Et je réponds toujours non, ce que je veux c’est que mes enfants soient aimants, compatissants, des êtres humains responsables.C’est tout ce que je veux.Peu importe le véhicule, je veux juste qu’ils soient de bons êtres humains qui traitent les autres êtres humains avec respect, peu importe la couleur de leur peau, leur religion, leur sexe.C’est la chose la plus importante, vous voyez ce que je veux dire ? S’ils devaient devenir le prochain Picasso ou le prochain Cristiano Ronaldo, alors c’est génial, c’est juste la cerise sur le gâteau.
XC: Si j’ai bien compris, vous vous rendez bientôt au Malawi pour le premier anniversaire de l’hôpital pédiatrique Mercy James que vous avez construit grâce à votre organisation caritative Raising Malawi, et c’est le premier hôpital pédiatrique dans le pays.Je sais que Raising Malawi se concentre sur la santé, l’éducation et l’aide communautaire, je me demandais si vous pouviez nous en dire plus sur le contexte dans lequel vous travaillez là-bas?
M: De toute évidence j’y suis allée à cause du très grand nombre d’enfants orphelins du sida.La raison première de ma présence au Malawi c’était de faire tout ce que je pouvais pour aider ces enfants, que ce soit l’éducation, la médecine, la reconstruction d’orphelinats, faire venir des professionnels de la santé ou construire des écoles parce que je sentais que c’était mon devoir d’être utile car j’avais une vie privilégiée avec une position privilégiée.C’est comme ça que j’ai rencontré mon fils David, et vous connaissez la suite.J’ai fait le saut d’une façon très naïve et idéaliste, j’ai beaucoup appris et je me suis brulée à de nombreuses reprises aussi.Mais après 13 ans de présence, j’ai compris comment les choses fonctionnaient et comment pérenniser l’aide apportée et comment être aussi efficace que possible.Comme le Malawi n’a pas beaucoup de ressources naturelles, il n’attire pas l’attention des gens, et donc c’est un des pays les plus pauvres du monde, il a été sérieusement négligé.L’idée ce n’est pas de faire venir des gens de l’extérieur mais d’éduquer et de former les malawites qui veulent devenir docteurs, qui veulent devenir chirurgiens, qui veulent devenir infirmières, alors le pays deviendra vraiment autonome et les gens seront fiers d’eux-mêmes.C’est ce dont ils ont besoin.Je consacre mes efforts essentiellement à l’éducation et à la santé, c’est ma préoccupation principale et c’est là où je mets toute mon énergie.
XC: Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir pour la situation là-bas ?
M: La fierté que les gens ont; Tous ces jeunes adultes qui deviennent docteurs,chirurgiens, personnel médical, professionnels de santé, des infirmières qui travaillent dans des hôpitaux.La réalisation d’opérations chirurgicales qui n’ont jamais été faites dans le monde.Il y a eu une opération chirurgical qui s’est déroulée avec succès la semaine dernière dans l’unité de soins intensifs sur des jumelles siamoises liées par le foie.Les chances de survie à l’opération était très faibles.Donc non seulement elles ont subi l’opération avec succès mais les enfants survivent et elles vont bien.Vous ne pouvez pas imaginer la fierté que l’on ressent, que les habitants, que la communauté puissent dire “Nous avons fait ce que personne d’autre n’a pu faire.Nous avons sauvé des vies et nous avons changé la vie des gens.”Cela donne beaucoup d’espoir aux gens.
XC: C’est incroyable. Une dernière question: quand et où (ou avec qui) vous vous sentez la plus heureuse ?
M: Quand je crée, quand je fais de la musique ou juste quand j’écris et quand je cherche une façon de m’exprimer.Quand je suis connectée à la nature, sur mon cheval sur la plage, ne faisant qu’un avec lui, sentant le sel de l’océan sur mon visage, trempée.Et quand je joue avec mes enfants et que j’entends leurs rires;la joie que ça m’apporte est là où je suis heureuse.
Traduction: MadonnaTribe