LOVE 16.5: traduction de l’interview de Madonna
Voici la traduction de l’interview de Madonna par Murray Healy, le directeur de la publication du magazine LOVE, qui figure dans le numéro hors-série 16.5 paru le 19 septembre:
En tant que personne qui a écrit tellement de chansons, vous avez trouvé une réponse à la question pourquoi l’amour est le thème dominant dans la pop music ?
Oui: parce que l’amour est le thème principal dans la vie.La chose qui nous pousse, qui nous forme, nous excite, nous inspire et nous détruit.Pourquoi est-ce qu’on n’écrirait pas sur l’amour?
Comment vous en êtes venue à écrire “Love Song” avec Prince sur l’album Like A Virgin ?
“Love Song” c’était pas sur ‘Like A Virgin”, c’était sur “Like A Prayer”. Écrire une chanson c’est une affaire mystérieuse.On ne peut jamais prédire ce que l’on va écrire.C’est toujours ce qu’il y a dans l’air ce jour-là, ce qui se passe dans votre vie à ce moment-là, l’alchimie entre vous et la personne avec laquelle vous travaillez.”Love Song” est supposée être ironique.C’est une chanson d’amour mais dans le refrain on n’arrête pas de dire “ce n’est pas une chanson d’amour”. C’est une chanson d’amour dans le déni.On était dans la provocation quand on l’a écrite.
Dans votre travail, vous et Prince, vous avez explicitement abordé l’idée de la révolution.Vous pensez que c’est possible pour une artiste pop d’être révolutionnaire ou d’inspirer des actes révolutionnaires ?
Je ne me considère pas comme une chanteuse pop, je me considère comme une artiste.Et c’est de la responsabilité d’un artiste d’être révolutionnaire dans son travail, c’est notre responsabilité, notre devoir et notre privilège.
Si on regarde en arrière, est-ce qu’il y a des moments dans l’histoire de votre propre travail qui vous frappe comme ayant eu un impact révolutionnaire particulier sur la culture contemporaine ?
Je pense que le film Truth or Dare a eu un très gros impact sur la culture populaire, en particulier sur la communauté gay.C’est la première fois que beaucoup de gens ont vu dans un film des hommes ouvertement gay et sans s’en excuser et sans en avoir à s’excuser.C’était la première fois que beaucoup de gens ont vu deux hommes s’embrasser passionnément et sans retenue dans un film commercial.Et en plus, c’était le début du phénomène des films et des émissions de télé réalité.Avant ça, les gens ne vivaient pas leur vie quotidienne devant une caméra.A l’époque je ne savais pas que ça allait être révolutionnaire.Je l’ai seulement compris après avoir entendu la réaction des gens quand il est sorti.
Est-ce que la célébrité est devenue encore plus un fardeau avec le développement des médias sociaux et numériques, maintenant, où que vous alliez les gens ont un appareil photo et sont en ligne.
J’étais déjà célèbre avant l’apparition des médias sociaux, donc pour moi la célébrité ne représente pas un fardeau.La célébrité est la manifestation ou le produit dérivé de mon travail, et c’était 20 ans avant les médias sociaux.Maintenant pour moi ce fardeau c’est les gens qui sont plus concentrés sur la célébrité plutôt que sur le travail ou sur le fait d’être un artiste.Aujourd’hui c’est facile de devenir célèbre.Ce qui n’est pas facile c’est de se développer et évoluer en tant qu’artiste sans être distrait ou consumé par la célébrité.
Si vous pouviez être anonyme le temps d’une journée, où iriez-vous et que feriez-vous ?
Je serais une mouche anonyme sur un mur pendant un jour de congé dans la vie de Barack Obama.
Vous pensez que vous êtes désormais acceptée par l’establishment? Est-ce que vous considérez que vous faites parti de l’establishment ?
Absolument pas et j’espère ne jamais l’être.Être acceptée par l’establishment c’est la mort.
Être un tel personnage public, est-ce que c’est plus facile ou plus difficile pour vous de vous rebeller aujourd’hui qu’au début de votre carrière ?
Je pense que je suis juste autant rebelle que je l’étais au début de ma carrière, je me suis toujours considérée comme étant provocatrice.Je fais toujours des choses que les gens pensent ne pas être appropriées ou acceptables pour une femme, pour quelqu’un de mon âge. Même le fait que j’ai eu une carrière qui a durée plus de 30 ans et que je continue à être créatrice et productive, c’est vu comme provocateur.
Jusqu’où va votre liberté selon vous ?
Pour moi la définition de la liberté c’est de ne pas avoir peur, donc je suis libre quand je n’ai pas peur.Ma bravoure dépend de ce qui ce passe dans ma vie, du jour qu’on est, de quelle humeur je suis, et si Mercure est en retrait.
Aujourd’hui, quels facteurs limitent votre liberté, en tant qu’artiste et en tant qu’être humain ?
J’ai l’impression que je n’ai pas la même liberté que celle d’un homme dans notre société.Je crois que nous vivons dans une société agiste et sexiste qui semble être spécifiquement concentrée sur les femmes parce que les hommes ont la liberté de se comporter comme bon leur semble et peu importe leur âge.Nous vivons à une époque où une femme est considérée dangereuse et hérétique si elle pense où se comporte de façon aventureuse, joyeuse sexuelle, frivole, ou de façon expérimentale une fois passée 35 ans.Ce sont donc les restrictions qui empiètent sur ma liberté en tant que femme et en tant qu’artiste.Mais en tant que combattante pour la liberté je continuerai à me battre contre ces discriminations.
Vous prêtez beaucoup attention à ce que les médias disent de vous ? Est-ce que cela vous préoccupe ?
Malheureusement on doit réfléchir avant de parler parce que nous vivons dans une société qui n’autorise pas l’ironie, le trait d’esprit ou l’humour sarcastique, tous les domaines dans lesquels je suis à l’aise.C’est pourquoi les choses que j’ai dites que vous lisez sont probablement sorties du contexte et mal comprises.Je continue à souffrir de l’affront du 1er degrés.
Vous vous êtes mise à Instagram depuis le tout début et avec beaucoup d’enthousiasme, en quoi ça vous attire ?
J’aime bien Instagram parce que c’est comme tenir un journal et chaque jour j’ai la possibilité de partager différents aspects de ma personnalité, de ma vie, et ce qui m’inspire, ce qui me met en colère, ou les causes que je veux défendre.ça me permet d’être mystérieuse, ironique, provocante ou fière.Je l’utilise comme une plateforme pour attirer l’attention sur des gens ou des problèmes que je pense être importants.Cela me permet d’être la conservatrice de ma vie.
Quand est-ce que vous savez qu’un morceau, un album ou une tournée est un succès ? Comment vous le mesurez ?
Martha Graham avait parlé d'”insatisfaction divine”, j’ai l’impression que c’est ce que ressentent la plupart des artistes au sujet de leur travail.J’ai l’impression que c’est impossible de mesurer le succès de son travail.Au bout du compte, c’est ce que vous ressentez le concernant.Pas ce que ressent le reste du monde.Par exemple je pourrais aimer une chanson et je pourrais travailler, et travailler et travailler dessus.Mais à un moment donné il faut arrêter et la partager avec le monde.Mais on se demande toujours si on aurait pu faire quelque chose de mieux ou de différent…. changer quelque chose ici, modifier une chose là.Je pense que c’est la malédiction, le privilège et la beauté d’être un artiste.”J’adore cette chanson mais ça aurait pu être mieux.J’adore ce film mais cette scène est trop longue.Si j’avais eu plus de temps, ça aurait été différent.Le spectacle que j’ai fait était exceptionnel sauf à ce moment-là…” Je suis ma pire critique.On n’est jamais totalement satisfait.Je peux être fière de quelque chose que j’ai fait et pourtant être insatisfaite en même temps.
Est-ce que vous arrivez à décider quelle est “l’autre partie de vous que personne ne voit” et comment vous protégez ça ?
Bien sur que je décide ce que les gens ne voient pas.Et cette partie c’est essentiellement ma vie de famille et c’est très important pour moi de garder ça aussi privé que possible.
Votre show Tears of a Clown c’était moins Madonna l’icône et plus Madonna l’être humain ?
C’était un peu tout ça.Parce que Madonna l’être humain est une icône et Madonna l’icône est un être humain.Mon show Tears of a Clown m’a permis de parler au public et de faire un spectacle qui concernait plus le processus de se produire sur scène.C’était plus arranger les choses sur scène devant un public, partager les répétitions ou un travail en cours avec les autres.C’est certainement plus libérateur que de dire “TA-DA voilà le spectacle terminé” parce qu’alors vous avez l’impression que tout doit être parfait.Avec Tears of a Clown j’ai pu faire des erreurs et les reconnaitre, en rire.J’ai pu raconter des blagues et m’amuser avec le public.C’était amusant et libérateur.
Est-ce que le succès de Tears of a Clown vous a donné la tentation d’offrir des spectacles plus spontanés dans le futur ?
Je l’ai énormément apprécié et j’en ferai d’autres dans le futur.Même si mon manager n’a pas aimé que je porte un costume de clown.Les clowns sont profondément sous-estimés et sous-évalués dans la société.
Qu’est-ce qui vous pousse à continuer à créer ?
L’amour bien sûr.
Traduction: MadonnaTribe