Critique parue dans Libération
Article sur la sortie d’Hard Candypublié dans l’édition d’ aujourd’hui du journal ‘Libération
“Pop. La chanteuse revient avec “Hard Candy”, un album plein d’invités en friandises.
Voilà quelques jours déjà que les télés du globe diffusent, à un débit de sulfateuse, le clip de 4 mn (c’est à la fois son titre et sa durée), premier extrait du nouvel album de Madonna, Hard Candy. Le morceau ainsi que l’affiche du clip sont partagés avec Justin Timberlake, selon la méthode du trophée éprouvée par la chanteuse, qui n’aime rien tant qu’accueillir sur son terrain ses meilleurs concurrents, comme elle l’a prouvé avec Britney Spears (duo de garces dans le clip Me Against the Music).
Précédé en France de la réputation flatteuse (pour nous) d’avoir été réalisé par les fines gâchettes frenchies Jonas et François de 75 prod (déjà responsables du merveilleux D.A.N.C.E. de Justice), le clip 4 mn est un joli morceau de bravoure tonique, où s’affrontent les narcissismes inversés du jeune homme et de la femme mà»re, tandis que s’égrène un compte à rebours qui pourrait être celui de la fin du mondeÂ… Ou celui de la fin de la société de consommation, ici figurée par les gondoles, caisses et tapis roulants d’un supermarché que menace une dévorante matière noire.
Pli discret. Est-ce une forme d’adieu de Madonna au fameux paradigme de “la ménagère de moins de 50 ans”? Elle atteindra en tout cas cette limite d’âge dès cet été, basculant du même coup, fà»t-ce symboliquement, vers un radieux avenir “senior”.
Cependant, parvenu à la rédaction hier après-midi sous pli discret, l’album Hard Candy, sous-titré “l’album sucré et collant“, n’est que très partiellement raccord avec ce single apéritif. La jaquette prouve encore une fois combien la star est douée pour mettre dans le mille des codes graphiques d’une époque : au croisement de la créature suçotant sa lollypop sur la pub du jeu vidéo GTA IV qui tapisse actuellement Paris, et de l’affiche de l’imminent festival de Cannes, qui reprend les mêmes interfaces lynchiennes et SM chic.
Le titre de l’album est plus problématique. Si Hard Candy peut passer relativement inaperçu en français (une traduction réflexe donnerait “bonbon dur”, éventuelle métaphore d’une érection phallique ou clitoridienne), c’est une autre paire de manches dans la langue de Shakespeare et de 50 Cent, où l’expression renvoie clairement au monde du porno, tous les films fondés sur l’argument “barely legal girls” (actrices à peine majeures) voire à celui de la pédophilie. “Hard Candy, nous précise le dictionnaire d’argot urbain, désigne une fille mineure de 12 à 16 ans particulièrement attirante et/ou crédule. En d’autres termes : un rêve de pédophile.” Hum !
Phobie. Reste, à l’écoute, cette manière touchante qu’a Madonna de toujours en faire un peu trop, motivée par un orgueil permanent à dominer tout le monde. Cette phobie absolue de rester bloquée sur une époque ou un registre, cette nécessité pathologique de se mesurer à toutes les concurrences successives depuis vingt-cinq ans dans le but de mieux les toiser (cette fois, outre Timberlake, Timbaland, Danja et Pharrell Williams sont notamment de la partie). Dans un menu trop varié, donc dissonant, de douze morceaux, certains titres surprennent, et d’autres échappent à l’identification. Ainsi Devil Wouldn’t Recognize Youet sa pop presque indolente, qui pourrait être un vieux single oublié de Kate Bush.
La postérité des dancefloors retiendra sans doute Dance 2 Night, qui tient bien son programme, et très certainement Beat Goes On, peut-être le meilleur single avec Candy Shop. Plus inattendu musicalement, Voices est aussi plus conceptuel, détonnant et ambitieux, mais pas le plus réussi des morceaux. Spanish Lesson fait quant à lui tinter une guitare flamenca en lointaine réminiscence de la Isla Bonita, où Madonna jouait aussi de cet accent spanyard typique de l’ex-gamine du Michigan.”
Auteur: Olivier Séguret